DNA a écrit :
L'homme pressé
Inconnu voilà quelques mois, Alharbi El Jadeyaoui est l'attraction de ce début de saison en Ligue 2. Sous le maillot de Châteauroux, le jeune Strasbourgeois au parcours atypique affole les défenses. Celle du Racing se frottera au petit phénomène, demain soir (20h), au deuxième tour de la Coupe de Ligue.
Alharbi El Jadeyaoui (à droite) accomplit son rêve de gosse. Demain, il jouera contre le Racing, le club de son coeur. (Photo Nouvelle République - Stéphane Gaillochon)
Et de cinq. Depuis vendredi soir, Alharbi El Jadeyaoui occupe seul la tête du classement des buteurs en Ligue 2. Monsieur « un but par match » a encore sévi. C'était vendredi à François-Coty, l'antre de l'AC Ajaccio, d'où Châteauroux a ramené une victoire pleine d'opportunisme et d'envie.
Invaincu depuis le début de saison - trois victoires, deux nuls -, le club du Berry connaît une fin d'été radieuse. El Jadeyaoui, lui, plane sur un petit nuage. Pensez donc. Il y a un an à peine, le gamin de Cronenbourg était un anonyme égaré dans un milieu impitoyable.
Tout juste venait-il de se poser à Châteauroux, au terme d'un parcours initiatique plutôt erratique. De portes closes en promesses non tenues, El Jadeyaoui a connu quelques belles galères.
« Pas le genre de joueur qui baisse la tête quand on lui crie dessus »
Loin de sa famille, de ses potes de la rue Lavoisier qu'il a quittés dès l'âge de quatorze ans, il a appris le métier « à la dure. » Beauvais et Tours sont ses premières étapes. Là -bas, rien ne lui est dû. Tout s'obtient à la force du mollet.
« Bien sûr que ce parcours m'a renforcé, dit-il. Vous pouvez demander à Cédric Daury, mon entraîneur ici. J'ai un mental d'acier. Je ne suis pas le genre de joueur qui baisse la tête quand on lui crie dessus. Au contraire, je bosse deux fois plus dur. Et le travail, ça finit toujours par payer. »
La récompense, la première de sa jeune carrière, tombe l'été dernier. Elle prend la forme d'un contrat « pro » de trois ans à la Berrichonne. Après avoir tant couru, El Jadeyaoui, enfin, peut se poser. L'espace d'un instant.
« Ce contrat m'a donné une assurance, mais croyez-moi que ça n'est pas la finalité, embraye-t-il instantanément sur un rythme effréné. Je ne suis pas en train de me dire : "C'est bien, je suis tranquille, j'ai mon petit appartement." Mon idée, c'est de tout "fracasser". J'ai les dents longues jusqu'en bas. »
« Je ne vais pas en discothèque, ne mange ni kebab ni pizza »
L'appétit d'El Jadeyaoui semble insatiable. Comme s'il fallait constamment prouver que sa place sur le terrain n'est pas usurpée, ce fils d'immigrés marocains met les bouchées doubles. A l'entraînement, il se bat comme un lion.
« Je ne peux pas me permettre de m'entraîner comme Teddy Bertin (son coéquipier et ex-Strasbourgeois), sourit-il. A 37 ans, il n'a plus rien à prouver. Lui m'a dit que pour sa première année pro, il faut garder la hargne d'un stagiaire. Du coup, je suis super sérieux et rigoureux, dans la vie comme sur le terrain. Je ne vais pas en discothèque, ne mange ni kebab ni pizza. Il y a beaucoup de privations. Il faut aussi voir cet aspect-là . »
Son histoire, qui s'apparente à un joli conte de fées, s'est accélérée cet été. Alors qu'il enquille les buts comme d'autres des perles, - « franchement, sans vouloir me vanter, ils sont tous beaux ! » -, Alharbi El Jadeyaoui ne se pose pas mille questions. Sa petite place au soleil, il l'a décrochée seul comme un grand.
« Je ne crois pas en la chance, raconte-t-il. Contre Grenoble, j'ai mis un but venu d'ailleurs. Je sais pas comment j'ai fait. A 35 mètres, excentré sur le côté gauche, je place une reprise de l'extérieur du pied qui file dans la lucarne opposée. La balle aurait pu s'écraser sur le poteau, mais elle est rentrée. La chance, elle se provoque. »
« Jouer Strasbourg, c'est un rêve de gosse »
Aujourd'hui, toute son attention se porte sur la rencontre contre le Racing, le club où il avait passé une saison tout gamin. Sans succès. « C'est fou de jouer Strasbourg, dit-il, un rêve de gosse. A l'époque, j'étais tout le temps à la Meinau. On avait un quota de billets pour la cité. J'étais toujours le premier sur la liste ! »
Même s'il n'est pas sûr de débuter la rencontre, Alharbi entend briller devant Mohamed et Choumicha, ses parents, et l'un de ses frères venus dans le Berry pour l'occasion. « L'objectif, c'est de passer, assène-t-il. On est chez nous. On va les faire reculer, ils vont subir. Moi, je vais jouer comme je sais le faire, tout en percussion. »
Avec l'insouciance de ses 20 ans, Alharbi El Jadeyaoui compte poursuivre son ascension. Celle qui pourrait le mener, un jour peut-être, du côté de la Meinau. « J'y serai déjà dans deux semaines, en championnat, conclut-il. C'est un truc que je désire depuis longtemps. Même si je ne pensais pas que ça se ferait sous le maillot de l'équipe adverse... »