Strasbourg botte en touche pour préparer sa sortie
Officiellement ville candidate pour accueillir l’Euro 2016, Strasbourg, avec sa communauté urbaine, envisage désormais sérieusement d’y renoncer.
En préambule aux débats du conseil de la Communauté urbaine de Strasbourg, Jacques Bigot, son président socialiste, a fait, hier matin, une communication qui a embrasé l’hémicycle pendant plus de deux heures, en rendant publics des échanges de courrier entre la Ville de Strasbourg, d’une part, et la Fédération française de football (FFF), la ministre des Sports, Roselyne Bachelot, et le président de la République, Nicolas Sarkozy, d’autre part.
35 % demandés à l’État
Dans ces courriers, Roland Ries, maire de Strasbourg, demande un effort financier pour soutenir le choix de Strasbourg. À savoir une participation de l’État à hauteur de 35 % des 160 millions d’euros d’investissement prévus. Ce taux de 35 % correspond à la participation de l’État à l’organisation du Mondial 98. Il demande aussi le reversement des éventuels excédents financiers aux villes organisatrices et la création d’un fonds d’aide à l’investissement alimenté par une redevance sur les droits TV et les paris sportifs en ligne. Autant d’exigences qui n’ont aucune chance d’aboutir mais qui justifieront le retrait de la candidature strasbourgeoise.
Pour justifier cette volte-face, Roland Ries et Jacques Bigot soulignent que, dès l’origine, tout en souhaitant accueillir l’Euro 2016, ils s’étaient offusqués des prétentions de l’UEFA qui, pour faire simple, entend se réserver tous les profits éventuels et laisser à la charge des villes les coûts et déficits. Or, pour Strasbourg, le budget prévisionnel est de l’ordre de 160 millions d’euros, à la charge du contribuable local et régional.
À l’appui de leurs demandes, Jacques Bigot et Roland Ries soulignent le caractère particulier de la candidature strasbourgeoise du point de vue européen et footbalistique. Capitale européenne, Strasbourg se devait d’être candidate à un rendez-vous… européen. Mais désormais seule ville française candidate sans club en première division, elle ne peut compter sur une contribution financière du Racing. « Bordeaux bénéficiera d’un apport de 100 millions d’euros du club des Girondins. Il y a un an, quand nous nous sommes porté candidats, le Racing Club était sur la voie de retrouver la première division. Nous ne pouvions prévoir sa descente en National qui ne lui permet plus de participer financièrement », a résumé Jacques Bigot.
En ces temps de déroute des Bleus et de profond investissement du président de la République en matière footbalistique, la question se révèle très hautement politique.
« Je vous accuse d’avoir trompé les Alsaciens »
Robert Grossman, ancien numéro 2 de la municipalité et qui n’oublie pas de rappeler qu’il a contribué à mettre en selle le jeune Nicolas Sarkozy, explose : « Je vous accuse d’avoir trompé les Strasbourgeois et les Alsaciens. Vous les avez baladés pendant 16 mois avec votre projet d’Eurostadium et maintenant, vous cherchez des boucs émissaires. »
Yves Bur, vice-président de l’Assemblée nationale, est plus mal à l’aise. Faute de pouvoir taper sur le président de la République, il se défoule sur les Bleus et le football. « Le foot, c’est un milieu pourri, un milieu de fric […] Ras-le-bol de payer pour le foot, un monde ignoble qui n’incarne plus aucune valeur. »
Reste la patate chaude. Face au dieu foot, même très écorné par l’odyssée de la sélection nationale en Afrique du Sud, quel politique local aura le courage de s’opposer à la toute puissance de l’UEFA, surtout quand elle est présidée par Michel Platini ?
Derrière les grands mots et les invectives d’hier, majorité et opposition cherchent à savoir à qui faire porter le chapeau d’une non-candidature devant les électeurs et les contribuables strasbourgeois.
Profil bas au Racing
Jean-Claude Plessis, président d’un RCS obnubilé par la remise à flot de ses finances se juge mal placé pour porter un jugement sur ce qu’il qualifie de « décision politique. »
Même si le retrait de la candidature strasbourgeoise à l’Euro 2016 n’est pas encore officiel, ça en prend tout doucement — et même plutôt vite — le chemin. La déliquescence du club phare du football alsacien, le Racing, relégué pour la première fois de son histoire au 3 e niveau national, ne plaide pas en faveur de son maintien.
D’autant que le RCS a ces temps-ci bien d’autres chats à fouetter. Dans le collimateur de la Direction nationale du contrôle de gestion de la Ligue de football professionnel, il s’efforce d’éviter un dépôt de bilan qui lui pend au nez.
Tout en refusant de céder à l’alarmisme ambiant, le président Jean-Claude Plessis la joue ainsi profil bas face au retrait qui se dessine. « Bien sûr que ce serait un frein au développement d’un Racing qui, avec sa relégation en National, est sans doute co-responsable de cette marche arrière. On ne sait pas où le club sera en 2016. En Ligue 1, j’espère. Mais aujourd’hui, il est bien mal placé pour donner des leçons à quiconque. Si la Communauté urbaine de Strasbourg retire la candidature strasbourgeoise, ce sera bien dommage. Mais je n’ai pas l’intention de critiquer une décision politique qui a dû être raisonnée. »
Le patron du club laisse toutefois entendre que son actionnaire Jafar Hilali pourrait, par ses relations dans le milieu financier, démarcher des partenaires financiers pour soutenir le projet de rénovation de la Meinau. « La mairie annonce qu’elle ne peut pas compter sur une participation du club, mais la question n’a même pas été posée à l’actionnaire. Ceci dit, je n’entends pas me mêler de ça. C’est un problème entre les collectivités et les propriétaires. Moi, j’ai un autre souci plus terre-à-terre : faire remonter le RCS en L2, puis en L1. »
Sans doute désireux de ménager une municipalité avec laquelle les relations se sont, sinon normalisées, du moins assainies, Plessis avoue comprendre les réticences des élus. « Compte tenu de la crise financière, je m’abstiendrai de porter le moindre jugement. Surtout qu’avec l’image donnée par l’équipe de France à la Coupe du monde en Afrique du Sud, les contribuables ne verraient sûrement pas d’un bon œil une hausse sensible de leurs impôts pour financer un stade de foot. »
Tapis
Au poker, on appelle ça envoyer le tapis. En adressant un ultimatum à Roselyne Bachelot, les élus strasbourgeois tentent de surfer sur la vague de l’insuccès du football tricolore. Ridiculisée sur et en-dehors des terrains à la Coupe du monde, la France accepterait-elle de se passer de la capitale européenne pour accueillir l’Euro 2016 ? Politiquement, ce coup de bluff est bien joué : alors que plusieurs villes candidates se demandent comment elles vont bien pouvoir financer leur stade, l’État ne peut se permettre de voir la victoire — l’attribution par l’UEFA de l’Euro à la France, le 28 mai dernier — se transformer en nouvelle débâcle, politico-économique celle-là.
Mais comme au poker, Strasbourg peut tout perdre dans cette affaire. En 1998, l’Alsace avait suivi la Coupe du monde française à la télévision, pleurant le manque à gagner en terme de tourisme (nuitées d’hôtel perdues, transports en commun…), d’emplois et d’infrastructures créés pour l’occasion.
Au poker, le terme « rebelote » n’existe pas. Et pourtant, comme en 1998, on en est toujours au même stade (sans jeu de mots). Alors qu’on devrait déjà savoir ce qu’on fait, avec qui, où, comment, on en est encore à se demander… si on le fait.
La Région prête à prendre sa part
Lors de la séance plénière du conseil régional, hier matin (lire par ailleurs en page intérieure), le président de la Région Philippe Richert a assuré que sa collectivité est « prête à prendre sa part dans le cadre des investissements en faveur de l’Euro 2016, dans la mesure où c’est une manifestation dont la portée ne peut que rejaillir sur Strasbourg et la région entière ». S’il a reconnu qu’il est « légitime de s’interroger sur la pertinence d’un tel engagement dans le contexte actuel », il a aussi estimé que le « retrait d’une telle manifestation contribuerait à affaiblir la position européenne de la mé tropole strasbourgeoise. »
Pour l’opposition, Jacques Fernique a estimé qu’ « il faut ne pas y aller tête baissée et regarder les choses avec circonspection ». « Je n’ai pas dit qu’il fallait y aller à n’importe quelle condition, a rétorqué le président. Mais si on veut que Strasbourg soit une capitale… »
Jean Deutsch & Michel Arnould
DNA a écrit : Un pas en arrière
Même si elles s'en défendent publiquement, la Ville de Strasbourg et la communauté urbaine semblent désormais proches de retirer leur dossier de candidature pour accueillir l'Euro-2016. L'image détestable renvoyée par l'équipe de France en cet été mondialiste et le néant dans lequel est plongé le Racing ne peuvent qu'accélérer le mouvement.
Les cris de joie n'ont pas fait trembler les murs de la cité administrative, place de l'Étoile, le 28 mai dernier, jour où la France a obtenu l'organisation de l'Euro-2016. Au siège de l'exécutif strasbourgeois, un certain embarras pouvait même se lire sur les visages. On aurait presque juré que MM. Ries et Bigot, respectivement maire de la Ville et président de la communauté urbaine (CUS), préféraient voir la Turquie ou l'Italie emporter le morceau. Mais à Lausanne, au quartier général de l'UEFA, Michel Platini avait brandi quelques heures plus tôt un petit bout de papier sur lequel figurait le nom "France"...
Un ultime courrier en forme d'ultimatum
Ce jour-là, les élus strasbourgeois ont hérité d'un « lourd fardeau à porter », aux dires de Roland Ries : 160 millions d'euros, soit le coût hors taxes de la reconstruction de la Meinau. Face à la réalité crue des chiffres, l'engouement affiché lors de la campagne menée durant un an autour du dossier de candidature s'est estompé. Strasbourg avait alors posé quelques conditions et émis des propositions à l'État, à l'UEFA, à la Fédération française et au monde du football pro, histoire d'alléger la facture. A ce jour, toutes les demandes sont restées lettres mortes. Hier, lors du conseil communautaire, MM. Ries et Bigot ont encore reculé d'un pas. Pour la première fois, ils ont évoqué la perspective de jeter l'éponge. « Nous préférerions renoncer à notre candidature plutôt que de découvrir a posteriori une note bien trop salée pour les contribuables de la CUS », indiquent-ils dans un communiqué. En date du 24 juin, soit jeudi, les deux élus ont envoyé une missive à Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, et Jean-Pierre Escalettes, président de moins en moins légitime de la Fédération française. Il s'agit là de « l'ultime courrier », selon MM. Ries et Bigot, qui s'apparente à un ultimatum. Le duo rappelle les « éléments conditionnels » à la participation alsacienne. Ceux-ci n'ont pas évolué depuis fin mai : financement accru de l'État (35& au lieu des 10 prévus), reversement des excédents financiers de l'Euro-2016 aux villes organisatrices, alimentation d'un fond d'aide par les droits télé et les paris en ligne. Le problème est que ces requêtes n'ont quasiment aucune chance d'aboutir. Elles sont d'autant plus "excluantes" que la voix strasbourgeoise est la seule à se faire entendre parmi les onze autres candidats. A Marseille, par exemple, le maire Jean-Claude Gaudin a officialisé lundi dernier la rénovation du Vélodrome, un projet de 273 millions d'euros confié au groupe Bouygues. La Ville, qui prendra en charge 173M€ sur 35 ans, a "juste" demandé à l'État « d'arrondir sa participation » au-delà des 10& annoncés. Mais Marseille, dont le club tout juste titré pour la 9e fois champion de France fait figure de véritable institution, n'est pas Strasbourg. Il n'est pas utile de s'épancher sur la désagrégation du Racing, qui attend toujours le feu vert de la DNCG histoire de savoir s'il a seulement le droit de repartir en National, pour comprendre les réticences des élus.
En filigrane se pose aussi la question de la volonté politique
En outre, les pérégrinations pathétiques et risibles des autres Bleus, ceux de France, en Afrique du Sud invitent aussi à la réflexion quant aux valeurs véhiculées par le foot pro et à l'opportunité d'engager des dépenses somptuaires. En filigrane se pose surtout la question de la volonté politique concernant le sport de haut niveau - très mal en point - à Strasbourg. Du côté de Marseille, M. Gaudin bâtit un stade « pour les 50 années à venir ». Ici, personne ne sait de quoi demain sera fait.

Les inscriptions au forum sont rouvertes



