L'Alsace a écrit :Patrick Spielmann dans l’étau
Sauf surprise, le président de l’association amateur livre son dernier « combat » dans le débat qui l’oppose à Frédéric Sitterlé sur la convention de gestion et le contrat de licence de marque que ce dernier entend faire approuver à la fin du mois en assemblée générale. Il sera ensuite sans doute débarqué.
L’image, tournée par la Web TV locale « StrasTV » et relayée par le site internet du Racing, a fait le tour de la toile. On y voit Frédéric Sitterlé, investisseur et propriétaire à ce jour toujours virtuel du Racing, et Patrick Spielmann, président de l’association support, commenter le dernier conseil d’administration, sitôt terminée la réunion marathon de 4 heures l’autre lundi.
Chaque mot est soigneusement pesé. P. Spielmann semble parler sous le contrôle de F. Sitterlé. Impression confirmée d’ailleurs à l’image lorsque le premier, au sortir d’un monologue, se tourne vers le second et lui demande : « C’est bien ça ? » Ce que ne dit pas la vidéo de « StrasTV », c’est dans quelles conditions elle a été tournée. Sans prévenir personne, l’homme d’affaires de Blodelsheim a convié la Web TV au CA pour le filmer dans son intégralité. Spielmann a refusé sans transiger cette intrusion journalistique sans précédent et qui n’est pas sans rappeler le « Big brother is watching you » du roman d’anticipation de George Orwell, « 1984 ».
Cette fin de non-recevoir opposée par le président de l’association a d’entrée fait monter d’un cran une tension encore avivée par une déclaration de Frédéric Sitterlé sitôt après. L’homme d’affaires de Blodelsheim a fait part de son intention d’assigner en justice « L’Alsace », son (ses) informateur (s) et Damien Kleinmann, l’adjoint au directeur régional de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, après l’article paru dans nos colonnes le samedi 4 février. Un article dans lequel D. Kleinmann, s’appuyant sur certains passages du Code du Sport, affirmait que la convention de gestion et le contrat de licence de marque RCS ne pouvaient être dissociés et qu’ils ne pourraient être validés en l’état par le Préfet dont l’autorité fait loi.
« Nous sommes coincés »
De ses joutes musclées avec l’ancien propriétaire Jafar Hilali, Patrick Spielmann, qui avait longtemps tout fait pour ne pas froisser le Londonien, a beaucoup appris. Mais autant toute l’association était derrière lui dans son combat face à l’ex-actionnaire majoritaire, autant ses appuis se dérobent les uns après les autres depuis qu’il a déclaré qu’à ses yeux, les conventions proposées par Frédéric Sitterlé étaient « inacceptables et dangereuses » pour la survie de l’entité qu’il dirige. En s’opposant à l’homme d’affaires de Blodelsheim, passé maître dans l’art de soigner - en faisant vibrer à fond la corde de ses origines régionales - sa communication et son image auprès d’une opinion publique sous le charme, Spielmann mène un combat perdu d’avance.
Pourtant, que disent objectivement les faits à ce jour ? Que Frédéric Sitterlé a, avec un investissement personnel limité à 156 000 euros pour le rachat de la marque et du mobilier, épuisé le « trésor de guerre » que possédait encore l’association au début 2011-2012 : 728 000 euros. Il a réussi là où a échoué Jafar Hilali, qui, avec ses acolytes, avait investi et perdu 6,5 millions, mais était devenu l’ennemi public n° 1. Pressée de tourner la sombre page londonienne, l’association lui a même remis le « magot » avec le sourire.
Un club sans contre-pouvoir
Aujourd’hui, sa trésorerie, renflouée par le récent versement d’une grande partie des subventions de la Ville et de la CUS (voir par ailleurs), est amputée de ce bas de laine. Et Sitterlé, qui fait désormais de la signature des conventions un préalable à son investissement, sait que le temps joue en sa faveur. « À un moment ou un autre, maintenant que le reliquat 2010-2011 est épuisé, la situation financière de l’association va devenir intenable », observe un autre membre du club, « Nous n’avons aucune solution de repli et sommes coincés. »
D’autant plus que le patron de la holding Blodelsheim Media Venture a « annexé » ou presque le CA, après en avoir modifié les statuts pour mieux y placer ses proches. Dès mardi dernier, la rumeur d’une démission prochaine de Patrick Spielmann a circulé. Celle de son remplacement par le trésorier Gérard Lehr, proche de Sitterlé après avoir pourtant fait une offre de services à Hilali en janvier 2010 avec l’agent de joueurs Frédéric Dobraje et l’ex-directeur administratif du RCS, Thierry Veil, aussi.
Dans les faits, Spielmann, injoignable depuis une semaine et qui n’ignore pas qu’un simple vote du CA suffirait à sa mise en minorité et sa destitution, entend défendre jusqu’au bout une cause qu’il estime juste et que résume ainsi un troisième acteur du club. « Patrick est convaincu qu’il se bat pour assurer l’avenir de l’association. S’il y a bien quelque chose que tout le monde lui reconnaît, c’est son amour du club et son intégrité. Sa force, c’est son honnêteté. De ce fait, sa mise à l’écart poserait évidemment question. » Tous ceux qui croisent sa route ces jours-ci le décrivent comme pessimiste, mais combatif. Son éviction offrirait à Sitterlé toute latitude pour mener le club à sa guise. Sans contre-pouvoir. C’est là tout l’enjeu de ce qui se trame en coulisses ces dernières semaines.
Un bras droit condamné
Même si Frédéric Sitterlé a lancé l’autre lundi à la cantonade vouloir assigner Damien Kleinmann, adjoint au directeur régional de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) pour ses propos dans « L’Alsace » du 4 février et notre journal pour les avoir relayés, il paraît peu probable qu’il mette sa menace à exécution. Pour quel motif le ferait-il d’ailleurs ? Sûrement pas la diffamation, domaine dans lequel son bras droit est bien placé pour l’éclairer.
Le 11 octobre 2011, Matthieu Rabby, longtemps présenté comme bénévole avant que « L’Alsace » ne dévoile qu’il perçoit 1500 euros mensuels d’honoraires (comme l’attaché de presse Jean-Baptiste Duteurtre), a été condamné par le Tribunal de grande instance de Paris pour « le délit de diffamation et d’injures publiques » envers l’ancien arbitre Bruno Derrien après la diffusion d’un courriel intitulé « Très cher Bruno. » Ce mail, rédigé par Rabby le 25 janvier 2009, attentait à l’honneur de B. Derrien et à la mémoire de son père décédé quelque temps plus tôt. Bertrand Layec, responsable du secteur professionnel à la direction nationale de l’arbitrage, l’avait transféré le 26 mars 2009 à 130 personnes. Après sa condamnation, M. Rabby, ex-cadre de la Fédération licencié en 2010, a récemment versé 5000 euros à l’ex-directeur de jeu (2000 pour dommages-intérêts, 1500 pour frais de justice et 1500 pour publication du jugement dans la presse - en l’occurrence « L’Équipe » du 3 novembre).
La Ville très attentive
Invité par Patrick Spielmann au CA de l’autre lundi, Alain Fontanel, représentant du principal bâilleur de fonds du Racing en 2011-2012, a assisté aux débats pendant plus d’une heure en début de séance. L’adjoint aux finances de Strasbourg et vice-président de la CUS ne souhaite pas, lui non plus, s’exprimer sur un dossier épineux que les collectivités suivent cependant de très, très près. Selon nos informations, c’est d’ailleurs le message qu’il a clairement fait passer au CA. Il a ainsi déclaré en substance qu’il était important de tirer les enseignements de l’histoire récente du club et qu’il fallait, par précaution, prémunir l’association des éventuels excès d’une SASP, tels qu’elle en a connu sous l’ère londonienne. Il a aussi insisté sur une condition sine qua non à ses yeux : que les relations entre la SASP et l’association soient équilibrées, sans préjudice pour l’une ou l’autre. Avec ce corollaire selon lui logique : les deniers publics ne pourront être mobilisés que dans ce cadre-là. Tout en laissant évidemment le club libre de son choix, il a tenu à préciser que les collectivités tireraient les conséquences des décisions prises. Une mise au point que d’aucuns interpréteront comme un soutien à Patrick Spielmann.
Dominique Crochu, « conseillère » de F. Sitterlé, l’a à l’évidence perçu ainsi, elle qui, après le départ de l’élu, a reproché au président de l’association de l’avoir invité. Une sortie plutôt risquée lorsque l’on sait qu’entre reliquat de trésorerie (728 000 euros) lié au rachat des bâtiments du centre de formation par la Ville en 2010 et subventions 2011-2012 (750 000 euros, achat de prestations compris), la municipalité et la CUS auront financé plus de 56 % (1,478 million au total) du budget prévisionnel du Racing pour la saison en cours (2,634 millions en charges). Sans parler de la mise à disposition gracieuse du stade de la Meinau et des locaux administratifs et du loyer très modique des installations du centre de formation (12 000 euros par an).
Sitterlé persiste
    Retirés de l’ordre du jour de l’assemblée générale du 20 janvier pour être réexaminés, la convention de gestion et le contrat de marque nouvelle version, censés être signés pour cinq ans (2012-2017), ont été présentés il y a huit jours aux administrateurs de l’association. Rappelons-en les principales pierres d’achoppement, déjà largement détaillées dans nos éditions des 13 janvier et 4 février :
1) Propriétaire de la marque RCS depuis son rachat au liquidateur pour 150 000 euros cet été, Frédéric Sitterlé, via sa holding BMV, compte la louer à partir de 2012-2013 à l’association qui devra ensuite se faire rembourser les montants déboursés auprès de la future SASP (1). Cette location annuelle (hors taxes) est indexée sur le niveau de l’équipe première : 150 000 euros en CFA2 ou inférieur, 250 000 en CFA, 400 000 en National, 900 000 en Ligue 2 et 1,5 million en Ligue 1. Damien Kleinmann, estime que ce contrat de marque ne peut être dissocié de la convention de gestion, au motif qu’il impacte grandement les finances de l’asso.
2) La convention de gestion, elle, impose des pénalités à l’association en cas de non-renouvellement de son propre fait. Des pénalités au profit de la SASP que Patrick Spielmann juge hors de proportions. Elles ne peuvent être inférieures – dit le texte – à 1 million en CFA, 2 en National, 5 en Ligue 2 et 10 en L1. Ces dispositions apparaissent en contradiction avec l’article R 122-8 du Code du Sport qui stipule que « les modalités de renouvellement de la convention ne doivent pas inclure de possibilité de reconduction tacite. » Sous-entendu : l’indemnisation prévue par Frédéric Sitterlé n’a pas lieu d’être.
Après « renégociations », les deux conventions sont identiques, à quelques détails près. Elles sont supposées prendre effet au 1 er juillet 2012. La mise en œuvre du contrat de licence de marque reste simplement subordonnée au lancement de la SASP, prévue… pour la même date. La loi fait de toute façon obligation à un club de créer cette SASP dès lors que sa masse salariale joueurs dépasse 800 000 euros, ce qui est le cas du Racing. Reste à savoir si ce montage, dont on peut supposer qu’il sera validé lors de la prochaine assemblée générale fin février, recevra le feu vert de l’autorité administrative de tutelle, autrement dit le Préfet. Lequel devra se prononcer, notamment, sur la base des conclusions rendues par les services de la DRJSCS.
(1) Société anonyme sportive professionnelle.
Stéphane Godin 
Oh la surprise ....