DNA a écrit :Boka, le dilemme africain
Ce soir, Boka entre dans la cour des grands. Le petit Ivoirien du Racing s'en va défier les stars argentines en chantant. Heureux qui comme Arthur va faire un beau voyage outre-Rhin. C'est beau, l'insouciance.
L'instantané date de juin 2004. Devant le stade de la Meinau, un tout petit bonhomme avec des tresses africaines et une grosse chaîne en argent jongle avec un ballon. Celui-ci navigue d'un pied à l'autre, monte à la verticale, roule sur les épaules et reste bloqué au niveau des cervicales.
Arthur Boka vient de débarquer au Racing. Il a les attraits d'un petit génie aux semelles de vent. Le club alsacien est alors persuadé d'avoir flairé le bon coup.
Il faut dire que le gaucher a été élevé à bonne école. Passé entre les mains de Jean-Marc Guillou, à l'Académie d'Abidjan, Boka a grandi aux côtés de garçons aussi talentueux qu'Eboué ou Salomon Kalou. Surtout, l'Ivoirien s'est déjà acclimaté au rude climat continental. Deux ans durant, il a arpenté les terrains belges, sous le maillot de Beveren.
« Boka a un jeu adapté au haut niveau »
« Il s'y est rapidement imposé, explique Régis Laguesse, bras droit de Guillou dans la démarche "académicienne". Pourtant, il est arrivé sur la pointe des pieds, sans avoir jusque-là disputé le moindre match officiel. Une semaine plus tard, c'était le titulaire dans le couloir gauche. Il l'est toujours resté. »
Précédé d'une solide réputation, Boka rejoint le Racing dans l'idée de poursuivre sa progression. Celle-ci ne sera pas linéaire, loin sans faut. S'il est doté d'une technique digne d'un Brésilien - d'où son surnom, un brin usurpé, de Roberto Carlos africain -, son implication n'est pas à l'avenant. Trop erratiques, ses prestations sont régulièrement entachées de grossières erreurs de placement.
« Malgré sa petite taille (1,66 m), Boka a un jeu adapté au haut niveau, explique Jacky Duguépéroux, l'ex-entraîneur du Racing qui l'a régulièrement aligné près de deux saisons durant. Sa détente est phénoménale, sa vitesse gestuelle et sa vivacité sont hors du commun. Dommage qu'au niveau mental, ça ne suive pas. »
Doué, le garçon ne répond pas vraiment aux exigences du milieu pro. A Strasbourg, Boka chauffe régulièrement les dance-floor des boîtes en vogue.
Des écarts de conduite qui, associés à l'accumulation de matches - championnat, Coupe d'Europe et sélection -, finissent par nuire à son rendement. Le Racing pique du nez, son petit Ivoirien suit le mouvement.
« Ce qui est vrai pour Boka l'est pour tous les joueurs africains, explique Régis Laguesse. Tout le problème réside dans la capacité à gérer leur "encadrement". Ils sont constamment sollicités par un frère, un cousin ou un parent. Eux sont jeunes, et c'est l'aîné qui a toujours raison. Certains parviennent mieux que d'autres à dire non. A Arsenal, on ne voit pas souvent des joueurs en boîte de nuit. »
« A Arsenal, on ne voit pas souvent des joueurs en boîte »
En fin de saison, la latéral gauche disparaît carrément de la circulation et fait l'impasse sur le dernier match, certes anecdotique, à Auxerre. S'il est encore contractuellement lié au Racing, son avenir s'inscrit clairement sous d'autres cieux. « Pour franchir un palier, il va falloir qu'il apprenne à se discipliner », conclut Laguesse.
La cause nationale devrait lui redonner un coup de fouet. Titulaire indiscutable chez les Eléphants, sur la même ligne que les Gunners Kolo Touré et Eboué, Boka voit les choses en grand. « On peut aller en finale », assène-t-il d'entrée. De quoi contribuer à une hypothétique réconciliation dans un pays coupé en deux par une inextricable crise politico-militaire.
« Là -bas, le premier métier, c'est le football »
Boka n'entend rien à la politique ni aux tensions entre musulmans, chrétiens et amanites, mais il cerne les enjeux du Mondial. « Au pays, tout le monde ne parle que de ça, enchaîne-t-il. Là -bas, le premier métier, c'est le football. Si on gagne, tout le monde est content. »
Oubliés, les soucis alsaciens, l'Ivoirien a de nouveau les crocs. « A Strasbourg, je n'étais pas vraiment bien dans ma tête, poursuit-il. Maintenant, je compte donner le meilleur de moi-même. On est dans le groupe de la mort*, mais ça ne me fait pas peur. Notre attaque marche fort. Si on arrive à se hisser au même niveau en défense, on peut aller très loin. »
Ce soir, face à Hernan Crespo ou Saviola, deux noms qui ne lui évoquent rien, celui qui jonglait sans mot dire voilà deux ans devant le stade de la Meinau entrera dans la cour des grands. Sans crainte ni appréhension. Parce que pour le gamin d'Abidjan, le foot, comme la vie, n'est qu'un jeu. Ça peut paraître hallucinant, voire incongru à l'époque du foot-business. Au moins, le constat a le mérite d'être rafraîchissant. C'est déjà pas si mal.