DNA a écrit :Champions de France !
Quand un groupe sans « vedette », truffé de joueurs alsaciens, inscrit la plus belle page de la longue histoire du Racing centenaire. Quand Gress et Bord barrent le navire sans trembler, avec le président Léopold... 1979, année de tous les records.
« Tu te rends compte ? On est champion de France. » C'était ce 1er juin dans la chaude nuit lyonnaise, avant de grimper dans le bus à  destination de Coulonges et de la table de Bocuse. En dialecte, Roland Wagner, l'enfant de Drusenheim, partageait bonheur et émotion avec son compère de la pointe alsacienne, Albert Gemmrich, le fils de Preuschdorf.
 Ils l'avaient fait. Une bande de vrais copains (ils se retrouvent aujourd'hui encore à  la moindre occasion) venait d'illuminer pour l'éternité l'histoire du sport alsacien.
 Avec eux, Yves « Ypfa » Ehrlacher, de Sundhoffen, Jean-Jacques « Django » Marx, de Fegersheim, Léonard Specht, de Mommenheim, René Deutschmann, le vrai Strasbourgeois, ou encore André « Dédé » Wiss, de Guémar, Rémy Vogel, formé au club, sans oublier Joël Tanter, le Breton d'Alsace. Et le coach, Gilbert Gress, un authentique gars du coin, les dirigeants, tous Alsaciens de souche, Robert Félix, né, installé à  vie dans les quartiers de la Meinau et de Neudorf. Rien que des enfants du pays.
Ces « Français de l'intérieur » naturalisés alsaciens, fondus dans le moule
 Aucun mercenaire comme aujourd'hui. Mais un Mosellan, Francis Piasecki, que beaucoup comparaient au meilleur Platini, un ch'ti nommé Dominique Dropsy, naturalisé Strasbourgeois, un Breton qui n'a plus quitté la Meinau, le roc et capitaine Jacky Duguépéroux, un Lyonnais qui s'en ira aussi au sud de la province, au FC Mulhouse et qui partagera un moment la vie d'une fille originaire de Wihr-au-Val, le patron des tricolores vice-champions du monde, Raymond Domenech. Et le gentleman fait défenseur, Jacky Novi, méridional heureux de jouer dans le froid, tant la chaleur ambiante se chargeait du reste. Et Roger Jouve, technicien subtil venu de Nice. Et le grand Tchadien Toko. Et les espoirs, Mosser, Glassmann, dont on reparlera.
 Tous ensemble. Tous fiers de défendre les couleurs d'un Racing, d'une région à  laquelle avaient su s'attacher sans mal les autres piliers du RCS champion de France, de ce Racing Club de Strasbourg qui venait de donner la leçon à  ce Lyon devenu entre temps le numéro 1.
Quatre bleus du RCS en même temps avec les Bleus de France
 Quelle saison. Quel final. Quelle communion. Du jamais vu dans cette région réputée pour sa discrétion. Des trains de supporters, des bus a gogo pour venir encourager un ensemble qui avait su mûrir en division 2, remonter avec panache, conquérir dans la foulée la 3e place parmi l'élite, puis imposer un style de jeu, un enthousiasme, une marque de fabrique.
 Un Racing dont les meilleurs éléments deviennent internationaux. Dropsy, Specht, Piasecki, Gemmrich, Wagner, Jouve. Un jour au Luxembourg, ils étaient quatre ensemble avec l'équipe de France.
 En ce temps là , toute une province s'identifiait à  son équipe, toute l'Alsace arborait sa fierté, les 68 rejoignaient les 67 pour chanter la gloire de « Gressa Schilles » et de ses irréductibles combattants.
 Le Racing gagnait. Paris se déplaçait jusqu'au bord du Rhin. Et de jeunes villageois s'apprêtaient à  aller boire l'apéro à  la table des plus grands. Vous vous rendez compte...
 C'est la fête en ville aussi. Raymond Domenech, Jean-Jacques Marx et leurs coéquipiers sont fêtés par les Strasbourgeois. (Photo archives DNA)
C'est la fête en ville aussi. Raymond Domenech, Jean-Jacques Marx et leurs coéquipiers sont fêtés par les Strasbourgeois. (Photo archives DNA) 
 
Au retour de leur dernier match de la saison à  Lyon, les Racingmen, champions de France 1979, sont accueillis par une foule en liesse en gare de Strasbourg. (Photo archives DNA)
Galerie de géants
Elle en a vu des joueurs d'exception, la vieille Meinau et sa fameuse tribune debout. Retour non exhaustif sur quelques bijoux.
Un artiste. L'égal des plus grands. Un génie du football. Un champion sur le terrain et un gentleman dans la vie. Un créateur qui ne se prend jamais au sérieux, mais que personne ne saurait oublier.
« Il dribblait comme personne, pour le plaisir des yeux »
 Ivica Osim, le grand Ivan, retenu au sein des sélections mondiales, sollicité par les plus grands, fut recruté en 1970 au Zeleznicar de Sarajevo par le président Alfred Wenger et le secrétaire général Armand Zuchner pour donner de nouvelles couleurs à  un Racing renommé provisoirement RPSM, suite à  la fusion avec les Pierrots de Emile Stahl et Paco Mateo.
 Le meneur de jeu, le prestigieux créateur de la Yougoslavie parmi les Kohler, Hoffsess, Hubert Hausser, Burkhard, Siffert et Lazarus. Un régal au quotidien pour les joueurs, pros, stagiaires ou amateurs, de la vieille Meinau.
 Le futur sélectionneur national aurait assurément mérité club plus prestigieux encore. Mais, en Alsace, terre de travail et d'accueil, il dribblait comme personne. Pour le plaisir des yeux.
Paul Frantz, le «prof» qui bouscule les habitudes
 Des joueurs d'exception, tous dans des registres différents, elle en a abrité, la Meinau entre 1946 et 80. Carlos Bianchi, le goleador myope que Gress accepta à  contre coeur, mais qui sut ne jamais se départir de sa classe naturelle. Jean-Noël Huck, aussi brillant droitier entre milieu et pointe que plus tard le Danois Carsten Nielsen, le gaucher.
 Wolfgang Kaniber, l'inconnu venu d'Osnabruck, le surpuissant avant-centre made in Germany, que les supporters idolâtraient. Avec Marco Molitor, le kiné, l'intellectuel, le surdoué passé à  côté d'une carrière plus brillante encore, quel tandem offensif, à  la fin des années 70, sous l'ère Paul Frantz, cet entraîneur hors norme, qui avait su transformer le Racing en terrible et impitoyable machine à  gagner. Avec nombre de véritables alsaciens au sommet.
 René Hauss, le « roi René », à  la longévité exceptionnelle, lui le perfectionniste. Raymond Kaelbel, le Colmarien, le plus capé d'entre tous, inventeur du tacle défensif. François Remetter, l'égal des plus grands gardiens de but, personnage attachant. Gilbert Gress, l'anticonformiste, Gérard Hausser, talent pur.
 Et, avant eux, Robert Jonquet, le Rémois de l'époque Kopa, Ernst Stojaspal, le divin chauve du wunderteam Autrichien, les jeunes Jean Wendling et Lucien Muller, futur grand d'Espagne. Vous souvenez vous ?
 Jean-Noël Huck : l'élégance et l'efficacité. La classe... (Photo archives DNA)
Jean-Noël Huck : l'élégance et l'efficacité. La classe... (Photo archives DNA) 
 Carlos Bianchi : un des plus grands buteurs de l'histoire du football français. Pas du Racing... (Photo archives DNA) 
Doublé pour René Hauss
 Carlos Bianchi : un des plus grands buteurs de l'histoire du football français. Pas du Racing... (Photo archives DNA) 
Doublé pour René Hauss
Un titre de champion de France, deux coupes. Entre 1946 et 1980, le Racing Club de Strasbourg a surfé sur les sommets. En Europe aussi.
 1947 : 2e finale de Coupe de France, perdue à  Colombes (2-0) contre le grand Lille. L'entraîneur Emile Veinante avait aligné Lergenmuller - Pascual, Braun - Heiné, Mateo, Lang - Heckel, Heisserer (cap), Woehl, Vanags, Rolland.
 1949 : Relégué sur le terrain, le RCS échappe à  la relégation grâce au forfait bienvenu des SR Colmar.
Première victoire en Coupe de France
 1951 : Première victoire en Coupe de France, contre Valenciennes (3-0, buts de Bihel, Krug et Nagy). Charles Nicolas avait fait confiance à  Schaeffer, Hauss, Wawrziniak (cap), Démaret, Krug, Vanags, Nagy, Jacques, Battistella, Bihel et Haan.
 1955 : Une superbe équipe emmenée par l'Autrichien Stojaspal joue longtemps le titre avant de faiblir et de terminer 4e.
 1964 : Victoire en finale de la première Coupe de la Ligue à  la Meinau contre Rouen (3-1) pour René Hauss et ses copains.
 1965 : Enorme saison pour l'équipe prise en mains par Paul Frantz. En Coupe des villes de foire, les « bleus » éliminent le grand Milan AC, Bâle, Barcelone avant de tomber contre le Manchester United de Charlton, Law et Best.
 1966 : 2e finale victorieuse de la coupe de France dans le vieux Parc des Princes contre Nantes (1-0, coup franc de Sbaiz). Frantz disposait d'une équipe exceptionnelle avec Schuth, Sbaiz, Hauss, Stieber, Devaux, Kaelbel, Gress, Merschel, Farias, Szepaniak, Hausser.
En quart de finale contre l'Ajax
 1970 : Kaniber, Molitor, Huck, Piat conduisent le club à  la 5e place de D1.
 1979 : Le Racing de Gilbert Gress devient champion de France. Gloire à  Dropsy, Marx, Duguépéroux, Specht, Domenech, Novi, Deutschmann, Ehrlacher, Piasecki, Tanter, Wagner, Gemmrich, Vogel, Wiss, Jouve, Toko, Glassmann, Mosser.
 1980 : 5e en championnat, le Racing tombe en quart de finale de la Coupe d'Europe des clubs champions face à  l'Ajax. Le 21 septembre, la Meinau brûle au terme du match contre Nantes. Gress est remplacé par Raymond Hild.
Bord et Gress : l'amour-haine
Bord - Gress. Faits pour s'entendre, ils se séparent avec fracas. Dommage...
 « J'ai un seul regret aujourd'hui. Les divergences avec Gilbert Gress. Avec le recul, je reste persuadé plus que jamais qu'il serait devenu un grand président du Racing. »
 Plus de vingt ans après, André Bord, Racingman de toujours avec Francine Heisserer - la fille de l'éternel Oscar - son épouse, bleu de coeur au-delà  des divergences, incidents et autres dérapages ayant tristement alimenté la chronique, a passé l'éponge sur ce qui restera comme un énorme gâchis.
Deux hommes passionnés, deux bâtisseurs
 L'amour-haine entre deux passionnés, deux hommes de caractère, deux bâtisseurs faits pour s'entendre, d'abord conquérants pour le bien du RCS et de tout le sport alsacien. Puis, insensiblement, inéluctablement, définitivement ( ?) séparés. Et qui s'affrontent par articles de presse, livres interposés.
 La terrible soirée du 21 septembre 1980. Racing - Nantes, les deux derniers champions de France. Gress est limogé. A la fin de la partie, le coach se rend au centre du terrain pour saluer ses supporters.
 Et c'est l'explosion. Le débordement, les cris, puis les actes. Bagarres, la Meinau en feu, les barres de fer qui se mêlent aux drapeaux brûlés. Les compagnies de C.R.S. appelées en renfort. « Il n'était pas beau, le foot, cette nuit là . Un cauchemar », nous rappelle un commandant, des frissons dans la voix un quart de siècle plus tard.
L'histoire, malheureusement, ne se récrit pas...
 Dommage pour qui avait pu mesurer tout le potentiel non exploité. Regrets éternels dans les coeurs des observateurs qui avaient vu les uns et les autres jouer ensemble au volley à  Monaco, déjeuner de concert au « Renard Prêchant » ou aux « Mille Pâtes », avant de s'entre-déchirer.
 Combien de titres, de trophées, de victoires, à  tout jamais dilapidées, alors que la cote des bleus de l'Alsace réunie atteignait son paroxysme.
 L'histoire, malheureusement, ne se récrit pas.
 Plébiscité par les supporteurs strasbourgeois, Gilbert Gress est limogé le 21 septembre 1980. Un des jours les plus sombres de l'histoire du Racing. (Photo archives DNA)
Plébiscité par les supporteurs strasbourgeois, Gilbert Gress est limogé le 21 septembre 1980. Un des jours les plus sombres de l'histoire du Racing. (Photo archives DNA)