L'Equipe a écrit :
Coach depuis le berceau
Le nouveau technicien anglais de Strasbourg a toujours voulu entraîner avant même de jouer. Il fourmille d’idées à propos du jeu.
On connaissait les bébés nageurs, voici le bébé entraîneur : « Dès 2 ou 3 ans, Liam écoutait mes conversations sur le foot en faisant semblant de dormir et s’en imprégnait », raconte son père, Leroy Rosenior (60 ans). Bizarre ? Du haut de ses 40 ans, Liam Rosenior, affable et chaleureux dans la petite salle de presse du RCSA, assume : « Je suis un mec étrange ! À la maternelle, mes professeurs souhaitaient m’orienter vers une école spécialisée pour les surdoués car j’étais déjà intéressé par la logique et le pourquoi des choses. Mais mes parents ont refusé. À 6 ans, j’ai commencé à me passionner pour la tactique et j’ai voulu entraîner avant même de jouer. Le premier livre de foot que j’ai lu, à 9 ans, était celui de Charles Hughes (alors responsable de l’entraînement à la Fédération anglaise), justifiant que la plupart des buts soient inscrits après quatre passes ou moins le "kick and rush”. J’étais contre ! »
Influencé par son paternel, né comme lui à Londres et qui, après sa carrière d’attaquant (passé par Fulham et West Ham dans les années 1980-1990), est devenu entraîneur et a toujours prôné un jeu offensif pour ses équipes -- « pas simple dans les divisions inférieures (à Torquay et à Shrewsbury) il était pris pour un fou » --, Liam n’a pas suivi la voie tracée par sa mère, Karen. Elle espérait qu’il effectue de longues études. « Moi, je voulais qu’il décide par lui-même », confie Leroy, éphémère sélectionneur de son pays d’origine, la Sierra Leone (deux matches en 2007).
La farouche passion du rejeton a pris le dessus. Ainsi, formé à Bristol, Liam a effectué sa carrière de joueur comme latéral droit à Fulham, Torquay, Reading, Ipswich Town, Hull City et Brighton (141 matches en Premier League, 241 en D2). Avec donc, tout au long de celle-ci, la certitude qu’il deviendrait coach. « Dans tous les clubs où j’ai joué, j’ai entraîné les jeunes des centres de formation. Je posais sans cesse des questions à mes managers sur la façon de jouer.
Certains n’appréciaient pas trop… »
« Il faut beaucoup de courage, d’intelligence et une grande marge de progression pour répondre
à mes exigences »
À Reading (2007-2010), il a rencontré le Franco-Malien Kalifa Cissé (40 ans). « La première saison, on a été relégués (en D2) parce qu’on a encaissé trop de buts venus du côté de Liam ! le chambre en éclatant de rire l’ex-milieu, vite devenu son ami et intégré à son staff à Strasbourg, où Rosenior a signé fin juillet pour trois ans, en pleine préparation, à la place de Patrick Vieira. On a tout de suite accroché. Il m’a beaucoup aidé car mon anglais était catastrophique. Je lui rends la pareille aujourd’hui », en attendant qu’il s’exprime en français, objectif à court terme. Cissé reprend : « Il parle énormément à ses joueurs, parfois trop (sourire). Il a vraiment besoin de les connaître à fond pour les mettre en confiance et il les écoute aussi beaucoup. Franc et direct, il s’exprime avec son coeur et ils le ressentent.»
Nommé capitaine et auteur du but alsacien dimanche dernier à Montpellier (1-1), Habib Diarra (20 ans) confirme : « Il est arrivé avec beaucoup d’ambitions et des idées claires. Il veut qu’on possède le ballon au maximum et qu’on impose notre identité de jeu, tout en développant des liens de solidarité forts, pour faire de nous une famille. »
Avec son plan de jeu hybride qui s’articule différemment avec ou sans le ballon, mais aussi en fonction d’où il se trouve, Rosenior estime que l’immense jeunesse de l’effectif (dix des onze titulaires dimanche avaient moins de 23 ans), crainte par certains, représente un atout : « Il faut beaucoup de courage, d’intelligence et une grande marge de progression pour répondre à mes exigences en termes athlétiques, de qualité technique et de pressing. Je veux surtout créer une
culture de fraternité entre eux. »
« Il est authentiquement intéressé par la vie de tous les gens qu’il rencontre »
Un défi pour une équipe qui a accueilli cet été une bonne dizaine de renforts, pour 50 M€ investis par BlueCo, le propriétaire américain de Chelsea et du RCSA. « Avec les directeurs sportifs Laurence Stewart et Paul Winstanley (qui l’ont enrôlé), on se connaît bien. Quand on recrute un joueur, je sais tout sur son parcours, sa famille et sa personnalité. C’est fondamental. » Car comme le martèle son père, « Liam place l’humain au-dessus de tout. Il a conscience que chaque individu est unique et il est authentique ment intéressé par la vie de tous les gens qu’il rencontre. Son empathie n’est jamais feinte, il ne fait jamais semblant.»
Ainsi, admiratif du dévouement quotidien de sa mère, chargée de trouver des familles d’accueil aux enfants défavorisés, Liam Rosenior, qui soutient le mouvement « Black Lives Matter », est très engagé dans la lutte contre le racisme. Il en a été victime en avril sur les réseaux sociaux, ce qui avait affecté ses enfants, quatre filles.
Et son père a reçu une décoration du Royaume-Uni en 2019 pour son salutaire combat contre ce fléau. « Chris Hughton, qui m’a entraîné à Brighton (2015-2018, ses trois dernières saisons comme joueur), a été une grande inspiration pour moi sur la réussite d’un coach de couleur, explique l’entraîneur de Strasbourg. Je lutterai toujours contre tout ce qui divise. Le foot, c’est avant tout l’union, d’où qu’on vienne. »
« Limogé de Hull en mai, il dit avoir « énormément appris, notamment de ses erreurs » pendant ses 18 mois au club. »
À Brighton, Rosenior a aussi débuté comme entraîneur, en charge des U23 (2018-2019), avant d’aller à Derby County (D2 puis D3 anglaise, 2019-septembre 2022), où il a notamment été adjoint de Wayne Rooney, puis a assuré un intérim de deux mois comme coach principal. C’est à ce poste qu’il a été nommé à Hull City (D2), le 3 novembre 2022. « Un signe du destin, selon lui. Juste un an auparavant, j’étais aux funérailles de ma grand-mère maternelle, abonnée au club et enterrée avec une écharpe des Tigers, le cimetière étant juste à côté du centre d’entraînement.»
Limogé de Hull le 7 mai dernier après avoir échoué dans sa quête des barrages d’accession (7e du classement), Rosenior estime y avoir « énormément appris en dix-huit mois », notamment de ses « erreurs », comme ses deux cartons rouges subis alors qu’il prône « un respect absolu des arbitres ». Il perçoit son arrivée à Strasbourg comme un autre « signe », qui lui « met la chair de poule » : « Outre sir Alex Ferguson à Manchester United, Arsène Wenger à Arsenal est l’autre révolutionnaire du jeu que j’aime en Angleterre. Alors, me retrouver ici, d’où il est originaire (et fut sacré champion
comme joueur en 1979), c’est extraordinaire ! » En prononçant ces mots, ses yeux brillent comme celui de l’enfant de 8 ans qui avait offert à son père un dessin où il se représentait comme sélectionneur de l’Angleterre à Wembley. Ses rêves n’ont aucune limite.
LUC HAGEGE